Par Jean Vincent Tchienehom(Correspondance particulière)2008
Ces végétations sont de plus en plus menacées, du fait d’une surexploitation et de conditions climatiques rudes.
Utilisation plurielle Vendeur de bambous et de contrevents à Bafoussam, la métropole provinciale de l’Ouest camerounais, Edmond K… est loin de s’imaginer que son gagne-pain contribue à mettre en péril la durabilité des écosystèmes à raphiales, caractéristiques de cette région. Evoluant dans les bas-fonds hydromorphes, ces végétations dominées par le palmier raphia jouent un rôle fondamental dans l’approvisionnement de la région en eau. Signature du paysage bamiléké qui bénéficie d’une altitude moyenne de 1500m, de températures moyennes de 20-22°C et de précipitations annuelles de 2000mm, les raphiales sont des milieux très riches et diversifiés (plus de 80 espèces inventoriées). Pour les populations, elles sont des ressources aux usages très variés. Une enquête récente sur l’activité de commercialisation des produits d’exploitation des raphiales sur les marchés de Bafoussam a inventorié 38 produits, bruts ou transformés, destinés à la construction, l’alimentation et les soins, les ustensiles et le mobilier. Autant dire que le palmier raphia à lui seul concerne quasiment tous les secteurs vitaux des populations ! L’approvisionnement urbain constitue donc un sérieux risque pour les raphiales, directement par des prélèvements au-delà des possibilités de régénération ; de manière indirecte, les besoins de la ville en légumes divers sont aussi un facteur important de destruction des bas fonds à raphiales à des fins agricoles. Les vallées humides avaient été identifiées comme présentant un énorme potentiel. La production intensive des légumes, en contre saison par irrigation s’était amorcée au début des années quatre vingt dix quand les anciens producteurs de café arabica et les « cadets sociaux » s’étaient progressivement tournés vers les cultures maraîchères, encouragés par la Banque mondiale qui avait massivement financé l’aménagement des bas-fonds inexploités, en appui à la diversification des spéculations agricoles.
Les conséquences d’une destruction Associée au déboisement dont la région est témoin, la réduction progressive des raphiales a eu pour conséquence, entre autre, la perturbation des régimes hydriques. Bien plus, la baisse du niveau d’eau en quelques années a fini par décourager les producteurs. La production maraîchère s’est complètement affaissée. En fait, les raphiales constituaient les moyens de protection des ressources en eau dans les zones concernées. La diminution rapide du régime des cours d’eau a laissé place à des vastes étendues herbeuses, inexploitables. Le dessèchement rapide des cours d’eau est aujourd’hui sans appel. Des ruisseaux ont disparu, et dans les villages voisins, un sondage de la profondeur des puits domestiques effectué par l’Université de Dschang, située à 60 kilomètres du chef lieu de province, a révélé l’affaissement de la nappe d’eau phréatique. Les derniers relevés des constantes climatiques par les services météorologiques locaux font constater une légère augmentation de la température moyenne journalière, et surtout une baisse du niveau des précipitations.Pour Félix Meutchieye, ingénieur agronome zootechnicien et géographe environnementaliste, ces dégradations s’expliquent. «Les raphiales, formations végétales permanentes de la région, localisées dans les thalwegs, forment un écosystème exceptionnel qui réfléchit sur le micro climat. Elles sont souvent dénommées « forêts galeries » du fait de leur tropisme pour les zones hydromorphes. La persistance des feuilles des palmiers raphia et des frondaisons permet une profonde infiltration des eaux des pluies d’une part et d’autre part leur lente évaporation. Il en résulte dans les vallées la présence régulière de la rosée et de la brume qui rafraîchit sans cesse l’atmosphère locale. La masse végétale des raphiales participe à l’adoucissement du climat, notamment par l’évapotranspiration ». Il est de ceux qui pensent qu’il importe de mettre en place un cadre stratégique régional de gestion des raphiales pour en conserver la biodiversité et les richesses car avec l’un des taux de croissance démographique des plus élevés du pays, la région des hautes terres de l’Ouest Cameroun fait face à une dégradation rapide de sa biodiversité naturelle.
Réglementation foulée aux pieds Les politiques d’aménagement menées par les services gouvernementaux sont encore bien loin d’une stabilité et d’une cohérence viables. L’exploitation des raphiales a été récemment conditionnée par l’observation de la Loi de l’environnement du Cameroun. Plus spécifiquement, une des dispositions des textes d’application de cette loi classe les raphiales au rang des produits forestiers non ligneux nécessitant un préalable de déclaration d’exploitation. Selon Monsieur Meutchieye, «l’applicabilité de cette réglementation tarde à se faire voir concrètement ». En dépit de ces difficultés, des initiatives de conservation ou même de régénération des raphiales commencent à voir le jour. Après l’échec cuisant du défunt projet Hauts Plateaux qui a réduit les surfaces à raphiales, le ministère du Développement rural a mis en œuvre le Projet de Valorisation des Bas Fonds, avec les mêmes objectifs de production en contre saison, qui opère sur une autre démarche. Dans ce cadre, la Facilité pour la gouvernance forestière (Fgf) financé sous fonds multilatéraux est dans sa deuxième année de mobilisation de la société civile pour une meilleure implication de toutes les parties prenantes. Dans ce contexte, les organisations non gouvernementales n’ont pas croisé les bras. A l’exemple de Action pour un développement équitable intégré et durable (ADEID) qui a formé plus de 50 pépiniéristes et dispose annuellement plus de 10.000 plants pour des initiatives de régénération. En partenariat avec une collectivité décentralisée, elle envisage très prochainement ouvrir un centre des métiers des bambous raphia et fibres. Pour sa part, le Réseau Raphia-Rotin du Cameroun (le 3R.C), projet interdisciplinaire hébergé par l’Université de Dschang depuis moins d’un an, envisage contribuer à une gestion durable de ces ressources par le moyen de la recherche et de la diffusion des connaissances. Félix Meutchieye qui en est le secrétaire permanent juge qu’il est trop tôt pour parler d’impact. En vue d’une meilleure évaluation des retombées de l’exploitation des raphiales sur leur pérennité, les chercheurs sont d’avis que les études sur les espèces camerounaises sont d’une grande urgence. On pourrait distinguer du fait de la domestication et la culture sélective, l’existence des sous espèces, variétés ou des écotypes d’intérêt. « Finalement, le palmier raphia gardera encore longtemps des vertus aux facettes nombreuses », affirme Félix Meutchieye. A condition d’y veiller, et d’interpeller les communautés à des approches de gouvernance plus logique et durable.